Les édifices romans en Saône-et-Loire : Différence entre versions
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+ | *La nouvelle approche de l'histoire des édifices ecclésiastiques médiévaux en Bourgogne, qui se met en place sous nos yeux, repose sur quatre considérations : | ||
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+ | 1. Partir d'un corpus, et non de compilations entassées, autrement dit, se préoccuper d'abord des relations entre les sites, les bâtiments et leurs caractéristiques avant de tenter d'expliquer ou de dater quoi que ce soit ; ce qui implique de repérer les formes principales d'organisation de cet ensemble ; c'est ici qu'apparaissent les nouveautés les plus importantes (la grande fracture centrale, dont la mise en évidence bouleverse les chronologies) ; | ||
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+ | 2. Considérer d'abord les constructions (ou l'entretien) comme des activités du clergé, et voir ainsi d'abord dans ces édifices des documents sur l'histoire (mouvementée) du clergé médiéval (puis moderne) en Bourgogne du sud, et donc aussi sur les rapports des clercs entre eux, et avec les laïcs ; | ||
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+ | 3. Inverser l'hypothèse ancienne (implicite, jamais discutée) selon laquelle les textes mentionnant des églises aux IXe et Xe siècles ne peuvent pas concerner les églises aujourd'hui visibles : l'hypothèse inverse, i.e. la concordance générale des textes et des bâtiments (c'est aussi une hypothèse) apparaît presque aussitôt infiniment plus plausible, ce qui tend derechef à bouleverser la chronologie traditionnelle ; | ||
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+ | 4. Tenir compte sans réserve des observations archéologiques, en distinguant avec une extrême attention les observations elles-mêmes des interprétations des archéologues. | ||
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+ | *Cette nouvelle perspective conduit à trois réorientations principales : | ||
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+ | 1. La chronologie « généralement admise » qui fait débuter l'art roman en Bourgogne vers 1020 (au plus tôt) et qui finit tout vers 1140 est trois fois trop étroite (au moins) ; les premiers édifices « romans » datent des années 920 (au plus tard), et les derniers sont du début du XIVe siècle. | ||
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+ | 2. L'histoire de ces bâtiments ne s'arrête naturellement pas en 1340, mais se poursuit jusqu'à nos jours ; il faut accorder une importance primordiale au moment où sombrèrent définitivement le rôle et le sens de l'église médiévale, alors remplacés par un sens profondément différent : la première moitié du XVIIe siècle ; à partir de là, l'utilisation et le traitement des édifices furent complètement différents, et cette différence a laissé des traces profondes dans ce que nous voyons. Cette véritable métamorphose conditionne de facto nos observations ; en l'ignorant ou en la négligeant, on succombe sans rémission à des erreurs de perspective d'où résultent des séries de contresens. | ||
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+ | 3. Si l'on considère l'espace de l'actuel département de Saône-et-Loire, tout montre une césure radicale entre le tiers nord-ouest du département (Charolais, Bourbonnais, Autunois, Morvan : en gros la partie correspondant à l'ancien diocèse d'Autun ; et le reste du département ; ces deux parties relèvent d'ensembles bien plus vastes, au nord-ouest et à l'ouest d'un côté(« espace ligérien ») , à l'est et au sud (« espace rhodanien ») d'autre part ; deux ensembles aux caractéristiques sociales extrêmement différentes jusqu'à une date récente, et qui ont connu des évolutions bien distinctes, qu'il est un peu schématique de résumer en parlant de décalage, ou de « retard » de la partie nord-ouest ; mais on peut en toute tranquillité affirmer que ces deux zones ne vivaient pas en synchronie, c'est sans doute la structure majeure du corpus qui nous occupe. Il s'agit là d'une difficulté très sensible, d'autant plus gênante que, jusqu'ici, on a complètement ignoré ce décalage, et tenté de rapporter les édifices des deux zones à une seule et même chronologie, ce qui est complètement impossible. Tant que cette césure n'aura pas été complètement précisée, on restera enlisé dans des confusions dont on n'a fini de faire l'inventaire. | ||
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+ | Cette observation majeure invite à reprendre la question ancienne de la « zonation » des constructions romanes, qui n'a jamais été traitée de manière satisfaisante. On ne semble pas s'être bien rendu compte, jusqu'ici, qu'à la période qui nous occupe tout l'axe rhodanien et les régions qui en dépendent (tout l'est de la S&L, Lyon et sa région) regardaient un peu vers l'Italie du Nord, et beaucoup vers les zones germaniques de l'Empire ; le thème nationaliste absurde d'un soi-disant « art français » (la « France romane » est un fantasme morbide) a exercé des ravages dont les conséquences n'ont pas été effacées : à ma connaissance, personne ne paraît avoir songé que les édifices qui ont quelque rapport avec Tournus doivent plutôt être cherchés en Rhénanie du Nord et en Saxe, qui étaient aux Xe et XIe siècles les régions les plus novatrices. A l'échelle régionale et locale, on n'a pas le droit de présupposer, sur la base de quelques impressions subjectives, des « écoles » arbitrairement délimitées ; si l'on voulait bien se donner la peine de produire des descriptions formalisées systématiques, on pourrait appliquer les méthodes bien éprouvées du clustering et de la classification automatique, qui permettraient d'identifier des ensembles plus ou moins homogènes sur la base de caractères précis et vérifiables. Ce qui suppose bien entendu de laisser définitivement au magasin des accessoires la vieille méthode des comparaisons ponctuelles, qui ne peut rien produire que des incongruités et des châteaux de cartes. | ||
== Schéma chronologique provisoire == | == Schéma chronologique provisoire == |
Version du 27 juin 2020 à 17:11
Cette page est issue de l'article d'Alain Guerreau[1], directeur de recherches au CNRS-CRH : Les édifices « romans » en Saône-et-Loire - Bilan, questions, perspectives, publié en 2009.
Pour compléter et actualiser certaines informations, voir L'Art roman en Saône-et-Loire.
Cette présentation est évidemment à compléter et à mettre en relation avec les différentes études scientifiques sur ce sujet, en constante évolution.
Pour une bibliographie plus fournie, voir le Portail Art Roman.
Sommaire
Préalables
Le présent article repose sur le croisement, contestable, de deux notions équivoques dans ce contexte. Il y a donc lieu de tenter, brièvement, de préciser ce qui fait difficulté, et les motifs qui peuvent justifier, jusqu'à un certain point, un tel découpage.
La notion d' "art roman" est une invention du XIXe siècle, et Xavier Baral y Altet vient justement d'attirer l'attention sur les conditions étranges qui ont présidé à cette naissance. La notion d' "art", comme Jean Wirth l'a rappelé récemment, est une notion totalement anachronique en ce qui concerne le Moyen Age ; l'adjectif "roman" désigne, avec une énorme approximation, un "style", c'est-à-dire une mixture sui generis de formes et de compositions, dont l'identification relève en général de l'appréciation esthétique subjective, bien plus que d'une analyse explicite, formalisée et vérifiable. Il reste indéniable que l'expérience et une attention organisée permettent, avec beaucoup d'exercice et un risque d'erreur de toute manière incompressible, d'opérer des distinctions utiles, qui peuvent au moins servir d'hypothèse dans le cadre d'études globales. On ne saurait pas davantage contester que le "style gothique" a succédé au "style roman", dans toute l'Europe, sans qu'il y ait de rupture claire, mais dans un mouvement qui a constitué au total une transformation radicale des modes de construction. C'est pourquoi, dans la suite, on s'autorisera à employer cet adjectif comme une sorte de raccourci pour désigner les édifices construits, dans la zone considérée, de la fin du IXe au courant du XIIIe siècle, à titre provisoire, et en tenant compte des conditions spécifiques du "passage au gothique" dans cette région.
La Saône-et-Loire est un département, c'est-à-dire une circonscription créée par les révolutionnaires, résultant largement d'un regroupement "rationnel" de subdélégations du XVIIIe siècle. Mais ni ce département ni la Généralité de Bourgogne qui le précéda ne constituent des cadres adéquats s'agissant d'étudier la société des Xe-XIIIe siècles et ses constructions. Cependant le découpage administratif actuel a entraîné tendanciellement une segmentation de la documentation et des cadres d'études de plus en plus prégnante. D'où ont résulté de considérables erreurs de perspective : les notions d' "art roman bourguignon" ou "art roman en Bourgogne du sud" renvoient à un assemblage de pièces disjointes, appartenant en fait à des structures bien différentes. On utilisera donc le cadre départemental comme une limite purement conventionnelle, en essayant de ne jamais perdre de vue que l'ensemble des bâtiments considérés ne doit en aucun cas être considéré comme un tout homogène, et en évitant de croire que l'on pourrait découvrir une "logique d'évolution" de tout ou partie de cette zone en se limitant à l'étude départementale.
Une vue minimale de cet ensemble architectural d'une densité sans équivalent implique que l'on considère au moins deux aspects : d'un côté, le corpus lui-même, c'est-à-dire la liste provisoire, telle qu'on la connaît en 2009, des édifices ecclésiastiques dont tout ou partie remonte à la période dite « romane » ; et, d'autre part, de l'histoire des recherches sur ces bâtiments depuis les années 1880. On proposera ensuite une esquisse de l'histoire des constructions, depuis le IXe siècle. Toutes celles et tous ceux qui ont eu l'occasion d'aborder ce sujet ont une idée de l'ampleur démesurée de la tâche. J'ai la nette impression que de nombreux travaux, au cours des quinze ou vingt dernières années, ont donné lieu à une considérable dépense d'énergie et que des observations d'une grande minutie ont été réalisées. Mais il n'en est pas ressorti un progrès significatif des connaissances. Je ne suis pas le seul à conclure qu'il est indispensable de repenser globalement la matière et la manière de l'aborder. Tant il est vrai qu'un ensemble historique n'est jamais un « tas », mais une structure, et que les éléments prennent leur sens de leur relation aux autres parties et au tout, et non l'inverse. Les quelques pages que voici ne sont qu'une modeste contribution dans cette perspective.
Le Corpus
Le corpus qui suit constitue une liste des constructions ecclésiastiques de Saône-et-Loire édifiées dans le "style roman" et dont tout ou partie remonte à la période médiévale. Cette liste est provisoire, manifestement encore incomplète (même si plusieurs édifices sont signalés ici pour la première fois...) Au surplus, ce travail reste à compléter pour d'autres types d'édifices.
SIGLES :
Diocèses : A = Autun, C = Chalon, M = Mâcon, L = Lyon, B = Besançon
Statut : MH = Monument Historique (« classé »), IMH = Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques (« inscrit »)
Notices : V = VIREY, Jean, Les églises romanes de l'ancien diocèse de Mâcon, Mâcon, 1934.
MD = MALO-DICKSON, Christiane, Les églises romanes de l'ancien diocèse de Chalon, Mâcon, 1935.
O = OURSEL, Raymond, Les églises romanes de l'Autunois et du Brionnais, Mâcon, 1956.
(on signale également les notices parues dans la série « Histoire et Monuments de Saône-et-Loire », Mâcon,1974ss, par Anne-Marie et Raymond Oursel, fascicules cantonaux).
Accès : on indique par XX les édifices inaccessibles.
Actuellement, cette liste comporte un peu plus de 300 édifices (313, certains douteux) ; la poursuite des investigations permettra probablement d'en découvrir encore au moins une cinquantaine (notamment en procédant à un examen systématique du plan cadastral ancien). Comme ce département compte 576 communes, cela signifie que plus d'une commune sur deux contient au moins un édifice roman, aucun autre département français ne paraît receler une telle densité. Certains secteurs sont étonnamment lotis : le canton de Saint-Gengoux-le-National a 19 communes et 23 édifices romans, sans compter trois emplacements reconnus de bâtiments disparus... Classement et inscription (69 et 64) touchent bien moins de la moitié de ce total. Plus d'une trentaine (10%) sont désaffectés, sur lesquels vingt-deux sont inaccessibles au public (chercheurs compris). Il n'est pas indifférent de noter que, pour 88 de ces bâtiments (un quart du total environ), je n'ai pas trouvé la moindre notice publiée.
Dès les années 60, R. Oursel avait entrepris une description systématique des bâtiments anciens, commune par commune ; moins de la moitié des communes ont été publiées ; les dossiers - non consultables pour d'évidentes raisons de conservation - sont conservés aux Archives Départementales et doivent, si j'ai bien compris, être numérisés en mode image pour faciliter la consultation. R. Oursel avait l'oeil du « connoisseur », et a observé beaucoup de choses, mais d'autres lui ont échappé, et les notices sont ultra-brèves, bien des interprétations prêtent à discussion.
Brève histoire des recherches
Les pionniers
La première recherche méthodique fut celle de Jean Virey (1861-1953), qui soutint en 1887 sa thèse d'École des Chartes sur « L'architecture romane dans l'ancien diocèse de Mâcon » ; thèse qui fut d'abord publiée en trois livraisons dans les Mémoires de la Société Éduenne (1889-1891). Peu après, en 1892, Félix Thiollier publiait à Montbrison L'art roman à Charlieu et en Brionnais, ouvrage comportant des plans, des gravures et une série de bonnes héliogravures (documentent plusieurs états disparus).
Un demi-siècle de « théories générales »
Au fur et à mesure que les recherches de terrain se succédaient, l'on vit fleurir diverses « théories », dont celle des « écoles régionales », ou celle des « routes de pélerinage » ; pour notre région, l'oeuvre qui eut le plus de portée fut celle de l'historien américain Arthur Kingsley Porter (1883-1933) qui publia deux ouvrages énormes : Lombard Architecture (4 vol., 1919), puis Romanesque Sculpture of the Pilgrimage Roads (10 vol., 1923). A.K. Porter fut le grand promoteur de la notion d'« art lombard », qui eut un si large écho. Ce professeur marqua également la région indirectement, puisque ce fut un de ses élèves qui, le premier, entreprit des recherches archéologiques sur les édifices de la région : Kenneth John Conant (1894-1984), qui arriva à Cluny en 1924, et y séjourna par intermittence jusqu'à sa mort en 1984. Dans le même mouvement, une élève de Conant, Elizabeth Read Sunderland (1910-), entreprit peu après des recherches archéologiques à Charlieu (à partir de 1937). L'autre auteur influent fut l'architecte et autonomiste catalan Josep Puig i Cadafalch (1867-1956), qui publia en 1930 La geografia i els orígens del primer art romànic, ouvrage qui marqua la naissance de la redoutable notion de « premier art roman ». Vaste fatras, dont on peine aujourd'hui à se défaire.
Toutefois, dans les années 30 et 40, les observations systématiques se poursuivirent, et notamment sous la forme de deux nouvelles thèses de l'École des Chartes, celle de Christiane Malo-Dickson (1904-2004), « Les églises romanes de l'ancien diocèse de Chalon » (publiée à Mâcon en 1935) et celle de Raymond Oursel (1921-2008), « Les églises romanes de l'Autunois et du Brionnais » (publiée à Mâcon en 1956). Dans ce dernier livre en particulier est discutée la notion alors nouvelle (créée par Charles Oursel) d'« église martinienne », expression qui recouvre l'idée d'une « école » autunoise indépendante de celle de Cluny. Ce fut d'ailleurs le même R. Ousel qui mit la main sur la facture du tympan sud de Bois-Sainte-Marie, réalisé dans un atelier proche de la place Saint-Sulpice, tympan qu'Émile Mâle considérait comme une belle réalisation de la sculpture romane (et dont on trouve encore des photographies dans nombre de parutions récentes...).
La vague des thèses américaines et allemandes
A partir des années 60, une pléiade d'étudiants américains arriva en Saône-et-Loire avec des yeux neufs. Modérément encombrés des « théories » forgées à l'époque précédente, ils s'employèrent à effectuer des observations plus précises, en essayant de déterminer les méthodes et les phases de construction : ce fut le début de ce que l'on a depuis appelé « archéologie monumentale » ; plusieurs n'hésitèrent pas non plus à fouiller les archives, à la recherche de tous les documents (souvent bien plus tardifs) susceptibles de renseigner sur les états successifs des édifices. Ces thèses sont malheureusement pour la plupart demeurées à l'état de microfilms, on peut toutefois trouver un exemplaire papier à la bibliothèque des Archives Départementales de Saône-et-Loire (le caractère ultra-confidentiel de ces travaux est très regrettable, on pourrait se demander si une diffusion sur internet ne serait pas maintenant possible). On doit en particulier mentionner les travaux d'Edson Armi sur Tournus et les ateliers de sculpteurs, et ceux de Walter Berry sur les églises du bassin de l'Arroux. Plus tard (fin des années 80) commencèrent à arriver des étudiants allemands, davantage encore férus d'exactitude, et effectuant des relevés d'une grande minutie.
En France même, l'histoire de l'art traditionnelle, encore enseignée dans les universités, avaient ses beaux jours derrière elle ; d'un côté, d'aucuns (re)découvrirent que les églises étaient d'abord des lieux de culte et qu'il n'est pas raisonnable de croire que l'on a seulement affaire à des « oeuvres d'art » (Carol Heitz), d'autres s'avisèrent qu'il ne sert pas à grand chose d'empiler indéfiniment des monographies et qu'il faut considérer d'abord des ensembles (« corpus ») avant de se lancer dans des analyses de détail, qui n'ont pas de sens en dehors d'un ensemble donné (Léon Pressouyre).
L'archéologie de terrain
L'essor général des recherches archéologiques en France à partir des années 70, qui aboutit finalement à la création de l'INRAP (2002), toucha aussi le Moyen Age, et des fouilles importantes d'églises romanes furent entreprises à partir des années 80 (une première) ; citons notamment celles de Saint-Pierre-l'Estrier (C. Sapin), du cloître Saint-Nazaire d'Autun (C. Sapin), de Cluny III (Anne Baud), de Paray (G. Rollier), de Saint-Clément de Mâcon (A. Guerreau et C. Sapin), du choeur de Saint-Lazare d'Autun (W. Berry), de Saint-Maieul de Cluny et de Cluny II (Galerie orientale du grand cloître, A. Baud et C. Sapin). L'Architecte en Chef, Frédéric Didier, particulièrement intéressé par l'analyse historique des bâtiments, fait régulièrement réaliser des diagnostics archéologiques avant restauration. De tous ces travaux est d'ores et déjà ressortie une moisson d'informations nouvelles, qui, sur bien des points, infirme les croyances antérieures.
Esquisse d'histoire des constructions
- La nouvelle approche de l'histoire des édifices ecclésiastiques médiévaux en Bourgogne, qui se met en place sous nos yeux, repose sur quatre considérations :
1. Partir d'un corpus, et non de compilations entassées, autrement dit, se préoccuper d'abord des relations entre les sites, les bâtiments et leurs caractéristiques avant de tenter d'expliquer ou de dater quoi que ce soit ; ce qui implique de repérer les formes principales d'organisation de cet ensemble ; c'est ici qu'apparaissent les nouveautés les plus importantes (la grande fracture centrale, dont la mise en évidence bouleverse les chronologies) ;
2. Considérer d'abord les constructions (ou l'entretien) comme des activités du clergé, et voir ainsi d'abord dans ces édifices des documents sur l'histoire (mouvementée) du clergé médiéval (puis moderne) en Bourgogne du sud, et donc aussi sur les rapports des clercs entre eux, et avec les laïcs ;
3. Inverser l'hypothèse ancienne (implicite, jamais discutée) selon laquelle les textes mentionnant des églises aux IXe et Xe siècles ne peuvent pas concerner les églises aujourd'hui visibles : l'hypothèse inverse, i.e. la concordance générale des textes et des bâtiments (c'est aussi une hypothèse) apparaît presque aussitôt infiniment plus plausible, ce qui tend derechef à bouleverser la chronologie traditionnelle ;
4. Tenir compte sans réserve des observations archéologiques, en distinguant avec une extrême attention les observations elles-mêmes des interprétations des archéologues.
- Cette nouvelle perspective conduit à trois réorientations principales :
1. La chronologie « généralement admise » qui fait débuter l'art roman en Bourgogne vers 1020 (au plus tôt) et qui finit tout vers 1140 est trois fois trop étroite (au moins) ; les premiers édifices « romans » datent des années 920 (au plus tard), et les derniers sont du début du XIVe siècle.
2. L'histoire de ces bâtiments ne s'arrête naturellement pas en 1340, mais se poursuit jusqu'à nos jours ; il faut accorder une importance primordiale au moment où sombrèrent définitivement le rôle et le sens de l'église médiévale, alors remplacés par un sens profondément différent : la première moitié du XVIIe siècle ; à partir de là, l'utilisation et le traitement des édifices furent complètement différents, et cette différence a laissé des traces profondes dans ce que nous voyons. Cette véritable métamorphose conditionne de facto nos observations ; en l'ignorant ou en la négligeant, on succombe sans rémission à des erreurs de perspective d'où résultent des séries de contresens.
3. Si l'on considère l'espace de l'actuel département de Saône-et-Loire, tout montre une césure radicale entre le tiers nord-ouest du département (Charolais, Bourbonnais, Autunois, Morvan : en gros la partie correspondant à l'ancien diocèse d'Autun ; et le reste du département ; ces deux parties relèvent d'ensembles bien plus vastes, au nord-ouest et à l'ouest d'un côté(« espace ligérien ») , à l'est et au sud (« espace rhodanien ») d'autre part ; deux ensembles aux caractéristiques sociales extrêmement différentes jusqu'à une date récente, et qui ont connu des évolutions bien distinctes, qu'il est un peu schématique de résumer en parlant de décalage, ou de « retard » de la partie nord-ouest ; mais on peut en toute tranquillité affirmer que ces deux zones ne vivaient pas en synchronie, c'est sans doute la structure majeure du corpus qui nous occupe. Il s'agit là d'une difficulté très sensible, d'autant plus gênante que, jusqu'ici, on a complètement ignoré ce décalage, et tenté de rapporter les édifices des deux zones à une seule et même chronologie, ce qui est complètement impossible. Tant que cette césure n'aura pas été complètement précisée, on restera enlisé dans des confusions dont on n'a fini de faire l'inventaire.
Cette observation majeure invite à reprendre la question ancienne de la « zonation » des constructions romanes, qui n'a jamais été traitée de manière satisfaisante. On ne semble pas s'être bien rendu compte, jusqu'ici, qu'à la période qui nous occupe tout l'axe rhodanien et les régions qui en dépendent (tout l'est de la S&L, Lyon et sa région) regardaient un peu vers l'Italie du Nord, et beaucoup vers les zones germaniques de l'Empire ; le thème nationaliste absurde d'un soi-disant « art français » (la « France romane » est un fantasme morbide) a exercé des ravages dont les conséquences n'ont pas été effacées : à ma connaissance, personne ne paraît avoir songé que les édifices qui ont quelque rapport avec Tournus doivent plutôt être cherchés en Rhénanie du Nord et en Saxe, qui étaient aux Xe et XIe siècles les régions les plus novatrices. A l'échelle régionale et locale, on n'a pas le droit de présupposer, sur la base de quelques impressions subjectives, des « écoles » arbitrairement délimitées ; si l'on voulait bien se donner la peine de produire des descriptions formalisées systématiques, on pourrait appliquer les méthodes bien éprouvées du clustering et de la classification automatique, qui permettraient d'identifier des ensembles plus ou moins homogènes sur la base de caractères précis et vérifiables. Ce qui suppose bien entendu de laisser définitivement au magasin des accessoires la vieille méthode des comparaisons ponctuelles, qui ne peut rien produire que des incongruités et des châteaux de cartes.
Schéma chronologique provisoire
Problèmes actuels
Bibliographie sommaire
Notes et références
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