L'archéologie sous-marine
Les gués, machine à remonter le temps
- Une remarquable continuité
- De nombreux gisements bien conservés
Hauts-fonds naturels, les gués furent utilisés, selon les découvertes archéologiques faites, depuis la fin de la période néolithique (vers 2000 av.JC). La remarquable continuité de fréquentation dans le temps observée sur certains sites constitue une preuve évidente de la stabilité du régime de la rivière durant les quatre derniers millénaires. Les 54 sites reconnus entre Gray et Lyon ne représentent qu’une faible partie des passages utilisés, soit temporairement, soit d’une façon plus régulière. Après la construction des barrages, en 1843 sur la Petite Saône de Gray à Verdun-sur-le-Doubs, en 1880 sur la Grande Saône de Verdun à Lyon, l’exhaussement de la rivière de plusieurs mètres submergea définitivement les gués après 4000 ans de fréquentation ininterrompue.
Un passage saisonnier épousant la morphologie de la rivière
Les gués de la Saône ne sont pas perpendiculaires à la rivière et forment souvent une oblique variant de 100 à 800 m de long. Ils coïncident en fait avec des seuils naturels de la morphologie de la rivière fréquemment constitués d’argile, ou d’un conglomérat de sable, de gravier et d’oxyde de fer. Les plans et profils dressés par les ingénieurs de la Saône dans la première moitié du XIXe siècle, en préalable aux grands travaux d’aménagement et de barrages, ont permis de localiser plus précisément les hauts-fonds que les trouvailles archéologiques laissaient supposer. La fréquentation des gués, rendue nécessaire par l’absence puis la rareté des ponts sur la rivière, dépendait étroitement de la hauteur de l’eau. Le régime des crues la limitait donc aux périodes d’étiage, où la navigation était naturellement impossible.
Une plongée dans le temps
Révélés par les dragages de la rivière au XIXe siècle, les gisements d’objets liés aux gués nous offrent une véritable plongée dans le temps : objets perdus de la période moderne, armes médiévales abandonnées, objets votifs mérovingiens, offrandes de la période gallo-romaine constituées d’armes et de multiples objets de la vie quotidienne portant le nom de leur propriétaire, armes et casques des époques du fer et du bronze, souvent extraordinairement conservés.
Des conditions de conservation idéales
Le débit lent et régulier de la Saône, sa pente presque nulle en amont de la Grande Saône, ont certainement contribué à la conservation de nombreux gisements, actuellement enfouis dans le lit même, et protégés par plusieurs mètres de dépôts alluvionnaires. De nombreux aménagements, en particulier à partir de l’époque gallo-romaine, grâce à un pavage de grosses dalles calcaires brutes, ont consolidé encore plus les hauts-fonds au cours des deux derniers millénaires.
Les offrandes
La Saône, comme beaucoup d’autres rivières, faisait l’objet d’un culte. L’hypothèse d’offrandes à la divinité du fleuve, se trouve confirmée à l’époque romaine par la stèle à la déesse Sauconna, et le dépôt intentionnel d’objets : vases en bronze ou céramique, armes, outils, parfois placés entre ou sous les dalles d’aménagement. Sur les périodes plus anciennes du bronze et du fer, les trouvailles généralement composés d’armes avaient suggéré l’idée de perte au cours de batailles. Aujourd’hui, on assimile la majeure partie de ces découvertes à certains dépôts votifs d’Europe du Nord. Identification confortée par l’absence d’unité chronologique des lots d’armes, la présence systématique d’épées et de poignards dans leur fourreau, mais aussi, à l’âge du fer, par l’abondance d’objets en relation avec le foyer : chaudrons, crémaillères, broches, chenêts, et herminettes en fer à valeur symbolique et plus spécifiquement funéraire. Le dépôt d’offrandes se termine à l’époque mérovingienne, avec de nombreuses armes, parfois en séries, et particulièrement une hache de jet miniature appartenant clairement à un contexte cultuel ou funéraire.
L’archéologie subaquatique de la Saône
De la « collection » à la rigueur scientifique La rivière, gardienne de la mémoire
Dès 1843, la Saône fut une source de découvertes archéologiques fortuites réalisées à l’occasion des opérations de dragages pour la navigation. L’extraction de graviers pour les remblais du chemin de fer, en plein développement, allait mettre à jour de nouveaux objets. Si certaines opérations bénéficièrent de la présence d’un archéologue, la fin du XIXe et le début du XXe siècle resta le règne des antiquaires et des collectionneurs. L’objet dragué, conservé ou rejeté en fonction de son éventuelle valeur marchande, sans contexte ni identification d’origine, enrichissait musées et collections particulières. En 1963, le suivi régulier des opérations de dragage confirma l’existence de véritables gisements. En 1978, une première opération subaquatique à Ouroux-sur-Saône, confortée en 1980 par la création du Centre National de Recherches Archéologiques Subaquatiques, permettait enfin d’adapter aux fouilles subaquatiques les méthodes et la rigueur scientifique des fouilles terrestres.
La rigueur scientifique
Dès les années 1980, les méthodes de fouilles et de relevés par triangulation, mises au point sur les sites lacustres, furent appliquées au secteur fluvial dans le secteur d’Ouroux. A partir de 1982, des prospections en plongée furent menées à Chalon par une équipe progressivement professionnalisée. S’appuyant sur des prospections géophysiques, ces travaux dressaient un inventaire des sites archéologiques de la rivière, évaluant intérêt scientifique et menaces de destruction éventuelles, et sélectionnant ainsi de manière rationnelle les priorités d’étude de gisements.
Des techniques de pointe
Dès ses débuts, l’archéologie subaquatique a fait appel à de nombreuses techniques. De 1978 à 1982 l’exploration de l’habitat du Bronze Final d’Ouroux-sur-Saône engageait la péniche Praehistoria, spécialement aménagée à l’initiative des Antiquités Préhistoriques de Bourgogne, du Ministère de la Culture et de la ville de Chalon. Une enceinte métallique de 125 m isolait la zone de recherche. Dès 1990, le Laboratoire des Ponts et Chaussées de Blois intervenait avec un bateau équipé d’un sonar latéral et pénétrateur de sédiments. Les levés bathymétriques du fond fournirent des vues tridimensionnelles des gués aujourd’hui submergés. Aujourd’hui, les équipements de plongée permettent maintenant l’étude des objets dans leur contexte subaquatique. La triangulation autorise des relevés en 3 dimensions dans des conditions de visibilité difficiles. Le matériel archéologique recueilli donne ensuite de précieuses indications : étude carpologique des graines pour la nutrition et les cultures, analyse palynologique des pollens pour la végétation, méthode du radiocarbone et dendrochronologie du bois - basée sur les cercles de croissance - pour la datation.
La Saône, site archéologique riche et diversifié
La recherche en Saône a fourni de nombreuses armes protohistoriques, romaines et médiévales, vases de bronze antiques, et de nombreux vestiges en matériaux périssables : bois, vannerie, cuir, tissus, témoins précieux aussi bien des modes de vie que des techniques artisanales antiques, autant de découvertes illustrant un certain nombre d’activités liées à la vie de la rivière au cours des 3 derniers millénaires. Elle a également amélioré la connaissance des bateaux de la Saône et des technologies employées, grâce à la découverte d’épaves échelonnées dans le temps : pirogues monoxyles du Bronze final et de l’Age du Fer, chalands gallo-romains, embarcations monoxyles mérovingiennes, embarcations médiévales du XIIe au XIVe siècle, grande Savoyarde de la fin du XVIIe. Enfin, l’exploration des sites portuaires antiques et médiévaux, pêcheries, et piles de pont romain de Chalon, a beaucoup progressé.