Une circulation vieille comme le monde
Voies romaines, voies médiévales, routes
Sommaire
Les voies antérieures à la conquête romaine
Généralités :
« Les Eduens avaient la chance d’occuper une terre placée au carrefour des grandes routes commerciales de la Gaule. Conserver cet avantage, en tirer le meilleur parti, telle fut leur constante pensée. Puisqu’ils étaient les maîtres des principaux passages, leurs efforts durent tendre à maintenir la vogue des itinéraires traversant leur pays. Pour y parvenir, ils furent conduits à rendre stables les tracés jusqu’alors capricieux, à assurer la sécurité des caravanes, à ménager des postes de relais… La rapidité des marches des légions de César, la facilité avec laquelle les nouvelles se répandent en Gaule (par signaux optiques en partie), surtout par messagers, en constituent de nouvelles preuves. ( ) … la généralisation d’emploi des véhicules ( ) toute une gamme de voitures, depuis les lourds chariots des Helvètes ( ) jusqu’aux légères charrettes qui constituent l’équipage d’Ambiorix (César, « BG », VII, 3, 3). ( ) … plusieurs termes techniques, désignant les différents types de voitures, se trouvent être d’origine celtique. L’aménagement des pistes dut suivre nécessairement l’utilisation massive des véhicules : les sols trop meubles (ornières) doivent être rendus plus résistants, une certaine largeur est nécessaire pour les croisements, il faut même adoucir certaines pentes trop raides. Ces caractéristiques marquent vraiment la transition entre pistes et routes. »[1]
« Cette mobilité ( de César et ses légions) n’est possible que parce que les Gaules sont déjà équipées de routes nombreuses, qui permettent une rapidité des communications qui ne sera pas dépassée avant la mise en service du télégraphe (en plein conflit, de Bretagne à Rome, un courrier met 20 jours). p. 25, in « Sur les traces de César, enquête archéologique sur les sites de la Guerre des Gaules », livret de Daniel BEUCHER, Myriam GIUDICELLI, exposition temporaire du Musée de la Civilisation celtique, Bibracte, 2002
Route des bords de Saône vers Toulon-sur-Arroux et la Loire :
« C’est la route adoptée par les Helvètes (poursuite des Helvètes par César en 58 av. JC, I, 15, in « BG » de César). Le point où les Helvètes passèrent la Saône n’est pas déterminé avec certitude. Si la traversée eut lieu vers Mâcon, comme le pensait JULLIAN, les Helvètes auraient pris une route de Mâcon vers Toulon-sur-Arroux et la Loire. Si le passage s’est opéré plus au sud (d’après Napoléon III, Rice HOLMES, d’HANNEZO), dans la région de Belleville ou de Villefranche, il faut admettre l’existence d’un chemin partant de ce point en direction du nord-ouest, qui serait venu confluer avec le précédent à Toulon-sur-Arroux, puisque la bataille ne peut être placée ailleurs qu’aux abords de Montmort (N-O de Toulon-sur-Arroux, NDLR). »[2]
« La ‘bataille des Helvètes’ ( ) localisée par César à 18 milles de Bibracte (27 km), permit aux troupes romaines de stopper la migration vers l’ouest du peuple helvète, originaire de Suisse occidentale… l’empereur (Napoléon III) a changé d’avis sur la localisation de la bataille : il la place initialement sur la rive gauche de l’Arroux, au nord de Toulon-sur-Arroux, puis penche pour la rive droite, au nord de Luzy. Eugène Stoffel penchait pour un autre site qu’avait proposé Xavier Garenne dès 1865, près de Montmort. Il y fit des fouilles aux résultats incertains en 1886. Une équipe suisse reprit les recherches en 1986-1987, sans apporter d’élément vraiment probant. »[3]
« La bataille de Bibracte détient le triste record (des pertes humaines de la Guerre des Gaules), avec la disparition de 220 000 Helvètes. »
Voie préromaine de Bibracte à la Saône entre Belleville et Villefranche :
« Plusieurs des stations archéologiques (le long de la voie romaine Autun-Belleville, NDLR) se distinguent par leur ancienneté. Suin et Brandon en particulier correspondent à d’anciens oppida gaulois. Cette hypothèse est garantie à la fois par le nom, la position de ces localités, et les trouvailles. L’un et l’autre de ces oppida se confondent avec des carrefours routiers ; il est donc permis de présumer que les voies aboutissantes, sinon toutes du moins les principales, sont des survivances d’une époque reculée. Si l’on cherche à définir le rôle de la voie que nous venons d’étudier aux temps préromains, ( ) sa direction générale évoque un axe tendu entre Bibracte et la Saône, dans la région de Belleville-Villefranche. Or, un peu au sud de Belleville se trouve un point de passage de la Saône pratiqué aux temps préromains, le gué de Grelonges, qui a révélé des vestiges préhistoriques, et apparaît comme le lieu de convergence d’une route remontant la Saône par la rive orientale, et d’une autre route venue du Jura. De cet important passage, la montée vers le col du Fût d'Avenas, puis la vallée de la Grosne et l’oppidum de Suin jalonnent la voie de pénétration naturelle vers le centre éduen. De Suin, on rejoignait probablement, avant la conquête romaine, la station de Toulon-sur-Arroux en passant par Saint-Bonnet-de-Joux et Génelard. Cette direction est celle qui prolonge le plus exactement la ligne suivie depuis la Saône.[4]
Les voies romaines :
Généralités :
« Ce sont les modernes qui ont inventé les voies [Lunna[5]-Autun, Mâcon-Autun, Chalon-Autun ; en réalité, le réseau était plus compliqué et plus souple à la fois. »[6]
« Tout montre au contraire (de JEANTON, NDLR) que la capitale (Autun, NDLR) était d’abord reliée par des voies directes aux agglomérations principales. Sur ces grandes artères, se greffaient ensuite des transversales. »[7]
La voie d’Autun à Belleville par Suin :
« La notion d’une voie directe reliant Autun à Belleville, sans passer par Chalon-sur-Saône, est récente. La voie en question n’a laissé sur le terrain que des vestiges discontinus. ( ) Courtépée a fait mention d’un tronçon isolé au bas de la montagne de Suin, sans pouvoir le rattacher. ( ) Le vrai tracé par Suin, présumé par Laureau de Thory, résulte sans conteste de la juxtaposition de tous les tronçons signalés.
Tracé : … Le village de Suin, antique oppidum celtique, était resté aux temps gallo-romains un carrefour de voies. Au-delà de Suin, la voie de Belleville oblique un peu au sud-est pour gagner le confluent des vallées de la Grosne et du ruisseau de Brandon. Dans ce parcours, elle a été repérée par Courtépée[8] sur Sivignon et, plus récemment, près du moulin des Bois, à la station romaine de la Ville d’Allery (La Chapelle-du-Mont-de-France) [9].
Près de Brandon, autre oppidum celtique, la voie est encore appelée chemin des Romains et mentionnée dans un terrier du XIVe siècle. A partir de Brandon, la voie reprend nettement la direction du sud et remonte la vallée de la Grosne. L’ancien pont de Montravant[10], situé près de Montagny-sur-Grosne, était considéré dès le temps de Courtépée comme un vestige romain (Courtépée III, p.9, parle de ‘l’arche d’un vieux pont sur la Grosne’).
En poursuivant vers le sud, la voie a été mise au jour, il y a une vingtaine d’années (environ 1949, NDLR) à la Belouze et au Fourneau (St Léger-sous-la-Bussière), et plus anciennement à Germolles, lors de l’établissement de la route qui suit la Grosne[11]. La voie pénètre ensuite dans le département du Rhône, où son tracé ne fait nullement question.
Organisation et histoire de la voie : L’ensemble des constatations faites au siècle dernier (XXe s., NDLR) par Laureau de Thory, la fouille Matty de Latour (à 1,5 km d’Autun, NDLR), permettent de classer la voie d’Autun à Belleville dans les voies de second ordre. Il n’y a pas d’indice qu’elle ait été bordée de colonnes milliaires. La principale mansio se place certainement à Suin, nœud de voies important. Les autres points remarquables sont le passage de la Bourbince, le carrefour de Brandon, le col du Fût ; ils peuvent correspondre à des relais. L’itinéraire (Autun-Belleville), autant qu’il est possible de l’évaluer sur la carte, est d’environ 115 km (contre 131 km par la voie Aggripa). Le gain atteint donc une quinzaine de km, et l’on pourrait être tenté de considérer la route de Suin comme un raccourci de la voie Aggripa. En y regardant de plus près ( ) les multiples escalades (du tracé : Autun 306 m, Montjeu 600 m, Montceau 287 m, Suin 600 m, Brandon 280 m, col du Fût 762 m) neutralisaient l’avantage apparent de la moindre distance ( ) sauf pour un voyageur à pied ou à cheval, même avec une escorte. … C’était une route d’intérêt surtout local… Toutefois le nombre des stations archéologiques reste élevé aux approches de la voie. ( ) le groupe dense de Suin à Brandon, les stations de la haute vallée de la Grosne forment un chapelet presque continu.
Aux temps préromains, la direction générale évoque un axe entre Bibracte et la Saône dans la région Belleville-Villefranche. Après le transfert de la capitale à Autun, il fallut créer le tronçon d’Autun à Suin pour opérer le raccordement avec l’ancienne piste, expliquant ainsi que la route que nous avons décrite affecte un angle bien net à hauteur de la montagne de Suin. »[12]
La voie de Beaujeu à Cluny :
« Une voie romaine assez importante passait par Cluny, celle de Ludna à Autun (par St Léger-sous-la-Bussière, Brandon, Cluny, Berzé) sur laquelle s’embranchaient de nombreuses voies d’intérêt local. » [13] « Près de là, la voie romaine de Beaujeu à Cluny par la vallée de la Grosne, passant par Avenas, St Antoine d’Ouroux, Germolles, St Léger-sous-la-Bussière, le pont de Montravent et le moulin de Clermain. » [14] « Près de là on remarquait une voie romaine, qui venait de Beaujeu à Cluny par la vallée de la Grosne, passant par Avenas, St Antoine d’Ouroux, Germolles, St Léger-sous-la-Bussière ; - par le pont de Montravant, territoire de Brandon, - par le moulin de Clermain, - par les prés d’embouche des héritiers Brosse (1856), - et par Ste Cécile. Ce chemin est reconnaissable, à Brandon, sur un espace de 1000 m environ. » [15] « Tout le monde connaît la fameuse ‘voie romaine’ qui, issue de Ludna dans la vallée de la Saône, franchissait le col du Fût d’Avenas pour redescendre ensuite sur Ouroux et la vallée de la Grosne. Le terrier de Vauxrenard (XVe siècle) la mentionne à plusieurs reprises comme ‘grand chemin’ encore fréquenté. On suppose qu’en aval, elle traversait le finage de Germolles, mais les hypothèses diffèrent ensuite : pour les uns, la voie antique quittait la vallée de la Grosne au lieu-dit Le Clairon, plus tard marqué par un fief et un château, et gagnait Sainte-Cécile par Tramayes et Saint-Point. Ce serait le ‘chemin de Cluny à Beaujeu’ que cite le ban de 1095, ou encore la ‘grande voie publique’ traversant Bourgvilain et que mentionne de même une charte de Cluny de 1282 (recueil n°5297). Il semble difficile de ne pas penser que, du Clairon, un autre tronçon (de la voie de Cluny à Beaujeu, NDLR) empruntant, lui, la vallée de la Grosne, rejoignait de son côté la Via regia, sans doute vers Pari-Gagné (territoire de Trambly, NDLR). » [16]
Voie de Brandon à St Gengoux et au-delà :
« les jalons assez nombreux signalés dans la vallée de la Grosne entre Brandon et St Gengoux définissent une voie, dont le tracé ne fait guère de difficulté. Cette voie se détache au carrefour de Brandon de la ligne Autun-Suin-Belleville et emprunte le thalweg (littéralement chemin du val, NDLR) de la Grosne. Elle est apparue en 1868 sur l’emplacement de la gare de Clermain, lors de l’établissement de la voie ferrée de Cluny à Moulins (p. 30, in « Mâconnais » de Gabriel JEANTON). On la retrouve en aval au lieu-dit La Teppe des Vernes, où elle s’appelle chemin des Blouzards (commune de Sainte-Cécile)… Le rôle exact de la voie de Brandon à St Gengoux n’a pas toujours été bien saisi, en raison, semble-t-il, de la méconnaissance longtemps prolongée de la route Autun-Suin-Belleville… Il paraît évident que la ligne Autun-Belleville est bien la voie de Suin, tandis que la section Brandon à St Gengoux est un raccordement entre les voies Autun-Belleville et Autun-Mâcon. » [17]
La Via regia :
« Une tradition, consignée par le cadastre du XIXe siècle, attribue à l’actuelle route (nationale puis départementale) de Cluny à Trambly (RD 987) une origine romaine. Il est tout à fait naturel d’imaginer que, de Trambly vers l’ouest, cette voie conforme à la vraisemblance topographique, et suggérée très explicitement par le ban de Cluny, grimpait par le vallon d’Audour, puis par le lieu-dit opportunément baptisé Grand Chemin, à l’assaut du seuil de Montmelard, qu’elle franchissait vers la Maison Brûlée, avant de piquer droit sur Vigousset par le vallon de Nureux (Nurux). De Trambly à Vigousset, le parcours s’en laisse suivre tout au long, avec la précision et la fermeté qui caractérisent souvent la grande voirie antique. »[18]
Les voies fluviales, la Saône :
Géologie : la formation de la Saône
L’histoire de la Saône remonte à la fin du Pliocène (1,64 millions d’années), avec la mise en place du lac bressan. Lorsque le lac bressan disparut, comblé durant les glaciations, une pré-Saône à pente faible, peu différente de la Saône actuelle, se mit en place au fond de la cuvette qu’il occupait. La vallée de la Saône est dite alluviale, composée d’éléments progressivement déposés à chaque crue de la rivière. Le système alluvial se caractérise donc par la formation de terrasses emboîtées qui se succèdent au cours des différentes étapes du creusement du lit de la rivière. Au fil des régions, la Saône traverse les marnes et grès du Trias (245-205 millions d’années), puis les couches argilo-calcaires du Jurassique (205-135 millions d’années) pour s’écouler ensuite dans les alluvions quaternaires récentes jusqu’à sa confluence avec le Rhône à Lyon.
Après les glaciations
L’ère quaternaire, qui vit l’apparition de l’homme, se caractérisa par une succession de périodes glaciaires entrecoupées de périodes interglaciaires de réchauffement. Durant ces périodes glaciaires, les glaciers recouvraient tout le nord de l’Europe, et les massifs élevés de l’ensemble des Alpes, du Massif Central et des Pyrénées. Les glaciations de Riss (vers 200 000 – 130 000 av. JC), puis de Wûrm (autour de 70 000 av. JC) alimentèrent en sédiments le grand lac bressan qui existait à cette époque, étendue d’eau douce de plus de 300 km de long sur 40 à 60 km de large. Le lac bressan disparut à la fin de la glaciation de Würm, comblé par ces sédiments. C’est dans cette cuvette que la Saône creusera peu à peu son lit.
La Côte Mâconnaise et les Monts du Beaujolais et du Lyonnais de la rive droite : la Saône formant la limite ouest du fossé bressan comblé, longe les côtes du Jurassique, des colluvions (érosion de versant) de limons à chaille constituant la transition avec la vallée (Tournus). Puis, au pied des roches volcaniques et granites du Beaujolais, la vallée est bordée de dépôts de sables, graviers et galets siliceux provenant de l’érosion des massifs. A partir de Villefranche-sur-Saône, une alternance de reliefs calcaires fracturés et de roches cristallophylliennes apporte des dépôts variés.
La Bresse de l’Ain et la Dombes, sur la rive gauche : des formations ondulées de la Bresse de l’Ain sont entaillées par les affluents qui mettent à nu les différents dépôts bressans (sables, argiles). Au sud de la Chalaronne, la Dombes, formation glaciaire de comblement du fossé bressan par le Rhône, où les sables et cailloutis forment un plateau ondulé recouvert de limons éoliens (Würm).- ↑ p. 34-35, in « Les voies romaines de la Cité des Eduens », de Emile THEVENOT
- ↑ p. 38, 39, in « Les voies romaines de la Cité des Eduens », de Emile THEVENOT
- ↑ p. 6, in « Sur les traces de César, enquête archéologique sur les sites de la Guerre des Gaules », livret de Daniel BEUCHER, Myriam GIUDICELLI, exposition temporaire du Musée de la Civilisation celtique, Bibracte, 2002
- ↑ p. 246, in « Les voies romaines de la Cité des Eduens », de Emile THEVENOT
- ↑ Lunna ou Ludna est une localité gallo-romaine située dans le voisinage de l'actuel commune de Belleville-sur-Saône
- ↑ p. 32, in « Pays II », de Gabriel JEANTON
- ↑ p. 318, note 1, in « Les voies romaines de la Cité des Eduens », de Emile THEVENOT
- ↑ in Description générale et particulière du Duché de Bourgogne, Dijon, 1847-1848
- ↑ p. 5, in « Etudes d’archéologie et d’histoire sur le Mâconnais », de Gabriel JEANTON
- ↑ p. 331, in « Carte archéologique de la Gaule, S&L 71/4 » de Alain REBOURG
- ↑ (JEANTON, « Le Mâconnais gallo-romain II », p.59, 62
- ↑ p. 243 à 246, in « Les voies romaines de la Cité des Eduens », de Emile THEVENOT
- ↑ p. LVI, in « Les anciennes voies romaines de la région de Cluny », de E.MAGNIEN, AAM 1946-47
- ↑ p. 20, in « Guide touristique de Matour et ses environs », de E.TRUCHOT
- ↑ p. 79, in « Description des communes de S&L », de M.MONNIER, 1856
- ↑ p. 9, 10, in « Canton de Matour, Histoire et monuments », de R.OURSEL, d’après Archives Départementales
- ↑ p. 315 à 318, in « Les voies romaines de la Cité des Eduens », de Emile THEVENOT
- ↑ p. 8, in « Canton de Matour, Histoire et monuments », de R.OURSEL, d’après Archives Départementales