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Les édifices romans en Saône-et-Loire

27 255 octets ajoutés, 27 juin 2020 à 17:27
Schéma chronologique provisoire
Pour notre région, le travail pionnier de Christian Sapin (1986) est le point de départ de toute réflexion. Cet auteur a identifié cinq édifices :
# l'abside de Saint-Georges de Couches (fin 8e), # le massif occidental de Saint-Andoche d'Autun, # les restes de l'ancienne église Saint-Martin de Mellecey, # les traces de la chapelle du Mont-Dardon, # les ruines de Saint-Martin de Mesvres,
Ils possèdent tous des éléments datables de la fin du IXe siècle. Il faut revoir bien d'autres chronologies, et s'attaquer à des édifices plus importants ; le premier état de l'abbaye de Charlieu (fouillé avant 1940 avec les méthodes de l'époque) est certainement antérieur à l'arrivée des Clunisiens en 932 ; la nef, la croisée et une partie du choeur de Perrecy-les-Forges sont assurément aussi de la fin du IXe ; quant à la crypte de Tournus, on ne peut manquer de remarquer qu'elle n'est pas du tout homogène, et que la partie centrale est, elle aussi, très probablement de la fin du IXe (au plus tard). Il est certain que nombre d'églises rurales plus modestes demandent aussi à être redatées, un exemple assez clair étant celui de Saint-Point, qu'il faut également attribuer à cette phase.
De même que l'on s'est rendu compte, avec bien des réticences et beaucoup de retard, que les « typologies » d'inhumations du haut Moyen Age avaient cette curieuse propriété de ne pas comporter de type « carolingien », ce qui les rend caduques et oblige à les repenser en entier, on est en droit de se demander pourquoi la quasi totalité des édifices du IXe siècle auraient disparu ou auraient été remplacés, alors même que l'on répète à l'envi que la Bourgogne du Sud est justement une des zones les moins touchées par la « seconde vague » des invasions.
 
*'''940-980.'''
 
On a remarqué depuis assez longtemps que la région connut un vif essor (agraire) au plus tard dès le tournant du IXe et du Xe siècle, et encore plus nettement après 930 (mais il faut mettre à part la zone nord-ouest) ; c'est un point que ni André Déléage ni Georges Duby n'avaient remarqué, et il est pourtant essentiel pour comprendre toute l'évolution de la période dans cette région. Personne ne doute que Cluny II fut construit sous l'abbatiat de Maieul, c'est-à-dire aux alentours de 960-980. J'ai découvert un texte qui montre que la reconstruction de la cathédrale Saint-Vincent de Mâcon était achevée vers 980. Et tous les indices laissent penser que la majeure partie de Saint-Philibert de Tournus était terminée avant 980 (translation de reliques et grandes cérémonies de 979, qui constituent un des rares points fixes de la chronologie de Tournus, comme l'avait déjà bien montré Virey en 1932). L'opus spicatum, assurément bien présent au plus tard dans les années 920 (observations récentes décisives de Christian Sapin et Anne Baud), observable dans nombres d'édifices modestes (Saint-Clément-sur-Guye, Saint-Huruge, Besanceuil, Bonnay et Prayes - détruits -, Versaugues) était massivement présent bien avant le milieu du siècle, même s'il a pu perdurer jusqu'à l'orée du XIe. A quoi il faut ajouter d'autres édifices bien datés par les textes de donation, comme Massy ou Domange, et tout ou partie d'édifices à Uchizy, Vaux, Chevigne, Bezornay, Burgy, Saint-Vincent-des-Prés. Au sud-ouest, c'est de cette phase que date le choeur de Bois-Sainte-Marie, directement inspiré de l'église de Charlieu de la période antérieure. Ce fut certainement aussi la période de construction d'édifices « périmonastiques », c'est-à-dire traduisant une organisation de l'espace du type du haut Moyen-Age, comme la « chapelle Saint-Laurent » à Tournus, et le premier état de « Saint-Maieul » à Cluny.
 
*'''980-1040.'''
 
Cet essor de la partie sud-est de la zone dura jusqu'au milieu du XIe siècle ; durant cette période, Cluny étendit rapidement son influence, tandis que les évêques de Mâcon et Chalon reprenaient en main le patrimoine ecclésiastique. Il faut attribuer à cette phase 980-1050 une grande quantité de constructions - reconstructions, encore que les critères propres à cette période ne soient pas établis avec netteté ; aucune nouveauté technique significative, mais une généralisation de procédés rares (mais pas absents !) à la période précédente, comme le layage soigné des parements décoratifs (montants de portes et fenêtres) ou les coupoles sur trompes. Peut-être des bâtiments comme Laizé, Chardonnay, Saint-Martin-de-Lixy, Passy, Saint-Martin-de-Croix, Le Villars, Laives, Lancharre I. La petite église de Burnand peut appartenir à l'époque précédente, ou à celle-ci, les fresques étonnantes qui ont été découvertes en 1986 sont des environs de l'an 1000. Plus à l'ouest, c'est l'influence dès lors dominante de Cluny qui est à l'origine de la construction de la première priorale de Paray (bizarrement dénommée Paray II par les archéologues) : les fouilles de Gilles Rollier ont bien fait apparaître le plan de l'église construite à partir du début du XIe, et achevée dans les années 1120.
 
*'''1040-1140.'''
 
A partir des années 1040, et plus encore 1060, s'ouvrit une phase de batailles de plus en plus violentes entre les clunisiens et les évêques et chanoines de Chalon et surtout de Mâcon. Ces derniers voyaient leur autorité, et leurs revenus, mis à mal par l'impérialisme clunisien, et réagirent fermement, en dépit du soutien pontifical à Cluny. Comme on sait, tout se termina par l'excommunication presque simultanée de l'évêque de Mâcon, Bérard de Chatillon, et de l'abbé de Cluny, Ponce de Melgueil (1124). Cette rivalité de plus en plus forte fut certainement un des principaux moteurs des constructions dans toute la région durant cette période, chacun des protagonistes cherchant à manifester son pouvoir et son autorité par une emprise rituelle et liturgique plus spacieuse et plus voyante. Avec un zeste d'exagération, on peut parler de « folie des grandeurs ». Le cas le plus universellement connu étant la construction de Cluny III que l'on attribue à l'initiative d'Hugues de Semur. Quant aux porches richement décorés de la cathédrale Saint-Vincent de Mâcon et de Perrecy-les-Forges, ils furent conçus comme une réponse à l'invasion clunisienne, comme d'ailleurs l'exceptionnel autel d'Avenas, ainsi que la reprise des travaux à Tournus (croisée et choeur). Sans preuve décisive, mais avec une bonne probabilité, on attribue aux clunisiens l'invention de l'arc brisé à la fin du XIe siècle, Cluny III en étant la première mise en oeuvre (ce que contestent les historiens de la cathédrale de Durham...). La floraison, ponctuelle mais importante, de la sculpture sur pierre dans les sites que l'on vient de mentionner apparaît ainsi comme le produit d'un contexte bien particulier, de même que l'apparition de l'arc brisé.
 
La tension dramatique entre les grandes institutions ecclésiastiques de la région, qui n'est pas indépendante d'une évolution des structures ecclésiastiques à l'échelle européenne, fut cependant démultipliée par la conjoncture agraire locale : à partir du milieu du XIe siècle, l'espace était « plein », les défrichements cessèrent, du coup le flux des donations se tarit. Ce qui entraîna une restructuration de l'organisation spatiale de la société, dans le mouvement que l'on appelle désormais l'« encellulement ». Mouvement qui prit en grande partie la forme d'une coalescence quasi définitive du réseau paroissial ; comme le contrôle de toute la société passait par le contrôle de l'organisation spatiale de la société, on voit pourquoi le contrôle des églises paroissiales représentait un enjeu crucial, les évêques n'étant pas disposés à partager leur prérogative fondamentale.
 
D'un autre côté, les dernières années du XIe et le début du XIIe virent le début de l'essor dans la zone nord-ouest (en gros la partie du département correspondant à l'ancien diocèse d'Autun). Il reste cependant délicat d'attribuer des bâtiments à cette première phase (en dehors des deux cas particuliers cités plus haut), peut-être Montmort ou Saint-Romain-sous-Versigny. Sans doute les parties les plus anciennes d'Anzy-le-Duc, comme la crypte. La priorale Saint-Nazaire de Bourbon-Lancy pourrait aussi être plus récente que ne le laisserait supposer son apparence quasi carolingienne.
 
*'''La phase suivante dura à peu près de 1120-1130 à 1240.'''
 
Le « modèle » clunisien écrasait tout le reste, même si une forte originalité se maintint dans le diocèse d'Autun. Tandis que, dans ce diocèse, il s'agit de la phase centrale de l'essor médiéval, et donc de la majorité des constructions romanes, dans le reste de notre zone, on entra dans une assez longue période de stagnation, qui ne prit fin que vers le milieu du XIIIe et qui correspondit donc surtout à des ajouts et à des reconstructions partielles.
 
Le bâtiment emblématique de cette phase est la nouvelle cathédrale Saint-Lazare, construite vers 1125-1145. La technique et la qualité atteintes d'emblée témoignent de la date relativement tardive. Mais on a trop rarement examiné ce phénomène rare et paradoxal d'une seconde cathédrale au XIIe siècle : la structure des cathédrales doubles caractérise les IVe-VIIe siècles, dès le IXe cette forme était très généralement abandonnée ; lorsque des édifices du « groupe épiscopal » subsistaient (comme dans le cas voisin de Lyon), ils étaient réduits au rang de lieux de culte secondaires. Que le clergé autunois ait repris ce modèle totalement anachronique est un indice de plus de la situation très étrange de cette zone au regard de l'évolution générale. Paray est instructif pour d'autres raisons. Depuis les fouilles de Gilles Rollier, et les observations détaillées des élévations subsistantes, la chronologie du site a été bouleversée. La première priorale de Paray fut sans doute entreprise au début du XIe, mais ne fut achevée (tour nord de la façade) qu'au début du XIIe, ce qui en dit long sur l'indigence des institutions ecclésiastiques de la zone avant le XIIe (et qui éclaire aussi l'intérêt qu'il y a à dater des édifices à cinq ou dix ans près). La nouvelle construction fut sans doute suscitée, comme à Autun, par le retournement de la conjoncture. Mais les premiers travaux (déambulatoire) n'eurent probablement pas lieu avant les années 1140, au mieux, et n'avancèrent que très lentement. Que la majeure partie du transept et la totalité de la nef soient bretturées indiquent que l'on ne peut guère les placer avant les années 1220, car on ne voit pas comment cette nouvelle technique serait apparue avec précocité dans cette zone. Or la plupart des commentateurs se sont extasiés sur l'analogie entre Paray et Cluny III, beaucoup en faisant des édifices contemporains. Il faut aujourd'hui admettre qu'entre les deux chantiers, il y a un demi-siècle d'écart au début, et sans doute plus d'un siècle à l'arrivée. Ce qui montre l'intérêt des comparaisons visuelles utilisées comme critère majeur de datation.
 
Dans les diocèses de Chalon et Mâcon, l'arc brisé se répandit largement, et des techniques de mise en oeuvre plus soignées se généralisèrent, les murs diminuèrent progressivement d'épaisseur. Il y eut encore de nombreuses constructions, mais dans bien des cas il s'agit de compléments ou de réfections partielles (qui ont pu d'ailleurs aussi bien toucher la nef et laisser subsister le choeur et le clocher, que l'inverse). A cet égard, le dernier ouvrage de Christian Sapin, qui cherche assez systématiquement à distinguer au moins deux phases dans les édifices étudiés, apporte de substantielles nouveautés ; on peut cependant se demander si, dans la majorité des cas, l'auteur ne sous-estime fortement pas l'écart chronologique entre les deux phases qu'il distingue (en rajeunissant la partie la plus ancienne et en vieillissant la partie la plus récente). Ce fut sans doute la phase principale de la sculpture du Brionnais (peut-être autour de 1200 pour les édifices que l'on place en fin de liste, Semur et Châteauneuf ; au passage, je rappelle la récente découverte de l'autel roman de Semur, datable des environs de 1200). Ce fut également à cette époque que les bourgeois de Cluny se mirent à édifier en grand nombre des maisons en pierre aux façades de luxe, décorées de ces fameuses « claires-voies », dont l'étude systématique a été entreprise par J.-D. Salvèque.
 
*'''1240-1340.'''
 
La mode gothique effleura à peine la région, sauf dans le Chalonnais (plus ouvert aux influences septentrionales); seuls édifices connus : la nouvelle cathédrale de Mâcon et l'église Saint-Pierre de cette ville (détruites pendant la Révolution) et Notre-Dame de Cluny. A Chalon, on se contenta de remodeler la cathédrale romane. A Autun, une tentative de reconstruction gothique de l'ancienne cathédrale Saint-Nazaire s'enlisa après quelques travées. Mais presque partout, on continua cependant de construire des bâtiments de type roman, seuls quelques détails (de décor ou d'appareil) trahissant la date réelle. La zone la plus concernée fut probablement le Charollais, où la majorité des églises romanes datent de cette phase ultime, notamment caractérisées par des arcs brisés extrêmement pointus, comme à Collonge-en-Charollais, Grandvaux, Champlecy. Mais on trouve des édifices de cette période un peu partout, comme l'ancienne église de Saint-Yan sur les bords de la Loire (entièrement bretturée), ou celle de Saint-Albain sur les bords de la Saône (haut du clocher gothique). On sait que la dernière partie de Paray, l'étage supérieur du clocher, était de style gothique, peut-être second quart du XIVe siècle. On note au passage que l'extrême longévité des formes romanes est depuis longtemps admise pour les édifices du Jura, il faudra bien y arriver pour la Bourgogne. Signalons encore que la plupart des flèches en pierre qui surmontent nombre de clochers romans ne peuvent guère être antérieures à cette phase, elles n'ont absolument rien de « roman », même si le mode de construction ne les distingue pas de leur soubassement : elles expriment des formes et un mode d'organisation de l'espace gothiques.
 
*'''La « fin du Moyen Age ».'''
 
Entendue au sens large (1340-1600), elle vit essentiellement des adjonctions de chapelles, généralement des fondations à vocation plus ou moins funéraire (dans un certain nombre de cas, des absides furent reconstruites, avec une croisée d'ogives en lieu et place de la voûte en cul-de-four). L'inventaire de ces ajouts ne semble pas avoir été jamais entrepris. Beaucoup d'églises, sinon toutes, reçurent alors un décor sculpté abondant sous forme en particulier de statues de saints, un certain nombre sont conservées (inventaire publié par Denis Grivot). Le cardinal Rolin entrepris de très importants travaux à la cathédrale d'Autun qui, à l'extérieur, prit l'aspect d'une cathédrale gothique (flèche en pierre, arcs-boutants, toit à forte pente). Les troubles de la Guerre de Cent ans n'ont pas laissé de traces bien identifiables, et la population sur place n'a pas cessé de chercher à entretenir ses bâtiments. Il en alla tout différemment pour les Guerres de Religion (1560-1598), où l'abandon et l'absence d'entretien furent généraux, d'où résultèrent de considérables dégâts : on peut estimer qu'en 1600, la majeure partie des églises de la région étaient en ruine ou très endommagées.
 
*'''XVIIe-XVIIIe siècles.'''
 
La première moitié du XVIIe siècle marqua une césure radicale, tant au plan matériel qu'à celui de la signification, césure qui a été pour le moins sous-estimée, en général simplement ignorée. A la suite des Guerres de Religion, les couches dominantes de la société adoptèrent une autre attitude à l'égard de l'Église, désormais considérée comme un simple outil d'encadrement des masses rurales. Ce ne fut pas Bonaparte, mais Louis XIV qui transforma le clergé en corps de fonctionnaires au service de l'État. Les évêques gallicans n'étaient plus qu'un instrument du pouvoir monarchique, et les curés, les exécutants locaux de la volonté des intendants (voyez l'obligation de tenir des registres paroissiaux). Dans un premier temps, il fallut remettre les églises en fonctionnement, et l'on fit en général au plus vite et au moindre coût. Ce fut alors qu'apparurent sur ces bâtiments des types de couverture (bon marché) que l'on n'avait jamais utilisés auparavant comme les pierres (« laves »), ou le bois (bardeaux). On rebadigeonna rapidement les intérieurs en gris ou en beige, les enduits extérieurs furent rétablis à l'aide de matériaux rustiques. Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, l'aristocratie comme le clergé se préoccupèrent plutôt de leur confort ordinaire. Les aristocrates envahirent une partie de la nef de leurs sièges et de leurs fauteuils, là où auparavant il n'y avait qu'un espace vide ; le clergé se construisit presque partout ces horribles sacristies que l'on voit encore, pour y entreposer plus commodément les nappes d'autel et tout l'attirail des vêtements liturgiques ; les uns comme les autres cherchèrent à se donner de la lumière, et l'on agrandit les fenêtres partout où l'on put. Pour impressionner les foules, on construisit, toujours à peu de frais, de grands décors de bois peint à l'arrière des autels.
 
Les ecclésiastiques plus puissants profitèrent de la nouvelle richesse que leur apporta le retournement général de la conjoncture à partir des années 1740 pour entreprendre une réorganisation de leur espace bâti. Le cas le plus célèbre est celui de Cluny, où le grand prieur Dom Dathoze décida de détruire la plus grande partie des bâtiments conventuels médiévaux pour les remplacer par un nouvel ensemble au goût du jour. Les abbés de La Ferté ne manquèrent bien sûr pas de se lancer eux aussi dans des travaux dispendieux. On doit souligner qu'en termes de démolitions, les moines furent les premiers, et qu'ils éliminèrent, au total, bien plus de choses que les bourgeois de Cluny de la fin du XVIIIe. A Autun, les chanoines, pour installer un nouveau décor dans le choeur de Saint-Lazare, détruisirent le mausolée de Saint-Lazare, oeuvre majeure de la sculpture romane, firent disparaître les sculptures romanes du porche oriental (avec la fameuse Ève) et camouflèrent le tympan roman sous le plâtre, à l'occasion de quoi ils décapitèrent le Christ (1766) ; puis ils rasèrent tout simplement l'antique cathédrale Saint-Nazaire. L'évêque Talleyrand (1754-1838) était tout sauf une exception (évêque d'Autun de 1788 à 1790). Au surplus, les évêques, dans le souci pragmatique d'adapter le réseau paroissial aux évolutions démographiques, firent passer quelques succursales au rang d'églises, mais surtout dégradèrent beaucoup d'édifices en simples chapelles, sans revenu ni desservant, ce qui marqua le vrai début de leur ruine irrémédiable.
 
*'''De 1790 à 1905.'''
 
Les secousses de la période révolutionnaire ne firent guère plus qu'accentuer les évolutions antérieures. Le monachisme apparaissait anachronique à la quasi totalité de la population, et personne ne contesta le moins du monde la suppression des ordres puis la vente de leurs biens. Dans les centres où le poids de l'institution ecclésiastique avait généré, souvent depuis le XVe siècle, un anticléricalisme croissant, eurent lieu quelques destructions de caractère avant tout symbolique, comme le percement de la nef de l'abbatiale de Cluny, ou les destructions mâconnaises, celle de l'église des chanoines nobles de Saint-Pierre (honnis), puis de la cathédrale elle-même. Là où les moines s'étaient depuis des décennies sécularisés, comme à Tournus, il ne se passa à peu près rien. Durant un demi-siècle, l'élite française fit preuve d'une complète indifférence à l'égard de la religion ; ce qui eut pour conséquence concrète l'absence d'entretien des bâtiments durant cette période : vers 1840, les édifices du culte étaient délabrés.
 
A partir de cette date débutèrent deux mouvements inverses, aux conséquences déterminantes pour le sujet qui nous occupe : d'un côté, quelques intellectuels s'émurent de la situation d'édifices qui, à leurs yeux, entraient de plein droit dans la catégorie (alors toute récente, on l'oublie trop) d'« oeuvre d'art », ils entreprirent de dresser des listes d'édifices méritants, et même de commencer à les décrire ; cette préoccupation se traduisit en pratique par le début des activités de protection et de restauration, incarnées par les figures emblématiques de Prosper Mérimée (1803-1870) et Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879). Dans notre région, les dessins célèbres d'Émile Sagot furent réalisés entre 1830 et 1863. Le premier chantier important fut celui de la reconstruction de la façade de l'ancienne cathédrale de Chalon entre 1827 et 1844, par le lyonnais Antoine Chenavard (1787-1883), qui laissait très mal augurer de la suite. A Tournus, la première campagne de restauration de Charles Questel eut lieu de 1845 à 1850 (beaucoup de dégâts dans le choeur). A Mâcon, les restes de l'ancienne cathédrale furent restaurés par Guillemin entre 1847 et 1855 (le tympan roman retrouvé sous une couche de plâtre en 1850). A Autun, Robelin puis Dupasquier travaillèrent de 1837 à 1845. Viollet-le-Duc dirigea une restauration très énergique de 1860 à 1873.
 
Mais, dans le même temps, une fraction du clergé, d'abord très minoritaire, mais gagnant rapidement du terrain, entreprit une opération méthodique de reconquête, que l'on associe souvent, par approximation, au nom d'une institution créée au XVIIe siècle, mais qui connut sa plus grande gloire au XIXe, la « Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice ». On vit ainsi dans les villes comme dans les campagnes s'activer de nouvelles générations de curés, et l'une de leurs préoccupations majeures fut la construction de nouvelles églises, modernes, plus vastes, plus hautes. Lorsque ces desseins furent menés à terme, l'effet fut presque toujours la destruction de l'édifice antérieur. En Saône-et-Loire, on peut évaluer à plus de deux cents le nombre d'édifices médiévaux qui furent ainsi anéantis en très peu de temps (avec l'aide et la bénédiction des autorités civiles et religieuses), principalement sous le Second Empire, et encore sous les débuts de la IIIe République, tandis que deux cents autres étaient plus ou moins gravement endommagés. Aucune autre période ne fut aussi néfaste pour les bâtiments médiévaux. Mais, si le clergé était à peu près partout aussi agressif, le soutien qu'il reçut des élites et des populations locales fut très variable ; dans une grande partie de la Sâone-et-Loire, le mouvement dit de « déchristianisation » était largement entamé vers 1850, et se conjugua à de fortes traditions anticléricales (notamment dans toute la partie médiane du département, Châlonnais, Clunisois, Mâconnais). Dans bien des cas, les curés, au prix de grands efforts, ne parvinrent pas à faire mieux qu'à obtenir des reconstructions partielles, qui détruisirent seulement les nefs, souvent les absides. Si la Sâone-et-Loire compte encore plus de trois cents édifices en tout ou en partie romans, on le doit d'abord à l'anticléricalisme du XIXe siècle.
 
*'''Depuis 1905.'''
 
Tous les édifices consacrés au culte catholique à cette date passèrent dans le domaine public (des communes ou de l'État). Cela eut peu de conséquences immédiates. Le mouvement de destruction / reconstruction tira à sa fin (démolition de Prayes en 1910, Poisson à peu près au même moment), les destructions que l'on repère ça et là furent surtout celles d'édifices ne servant plus au culte (ancienne église de Bonnay vers 1925, ancienne église de Maizeray dans les années 60 !). André Ventre (1874-1941), qui avait travaillé avec Antonin Selmersheim (1840-1910, auteur notamment de la reconstruction de l'église de Dun), mais se rendit surtout célèbre par ses gares et ses monuments aux morts, travailla à Tournus de 1908 à 1915 où il causa de nouveaux dégâts irréparables, en faisant méthodiquement gratter tous les enduits anciens et en faisant scier les poutres en bois qui servaient de tirants depuis la construction ; ce fut lui qui donna à la grande nef son allure actuelle, en arrachant presque tous les enduits (on ne peut guère douter que tous les arcs de la nef et des bas-côtés étaient entièrement peints et décorés), en ajustant les pierres en petit appareil des piles avec des joints en ciment débordant, et en faisant colorer ces pierres avec du mercurochrome dilué. A dire vrai, il partageait les goûts de son époque, et même de bons médiévistes comme Jean Virey ou Léonce Lex plaidaient continuellement pour l'élimination des « vieux enduits ». Ce qu'il faut bien appeler « l'idéologie de la pierre nue » se développa à la fin du XIXe siècle et sévit rudement durant la plus grande partie du XXe, les destructions absurdes ayant culminé dans les années 60 et 70. On cite souvent l'acharnement du Père Dargaud à Paray qui, contre l'avis de toutes les autorités, parvint en 1929 à entreprendre le « décapage » de la priorale, qui ne fut finalement achevé qu'en 1952, laissant un édifice proprement écorché, et qui se mit à noircir rapidement. Mais combien d'églises plus modestes furent encore défigurées par le clergé dans les années 70, comme Charnay et Sancé dans les environs de Mâcon... D'un autre côté, il faudrait analyser en détail la politique de « classement » et d'« inscription » qui se poursuivit durant tout le siècle. On se rendrait compte que la valeur intrinsèque des édifices tint de moins en moins de place, au profit de considérations d'opportunité, d'abord pour constituer le support de mesures administratives de protection en cas de danger (cas bien connu de l'intervention de Gabriel Jeanton pour sauver la chapelle Saint-Laurent à Tournus), mais de plus en plus pour répondre aux demandes d'élus locaux en mal de subventions. Si bien que les listes actuelles sont complètement hétérogènes, incluant des édifices mineurs et laissant de côté des bâtiments bien plus significatifs.
 
On doit enfin rappeler les principales « découvertes », c'est-à-dire des réapparitions de décors rendus invisibles par des enduits ou des dalles, et retrouvés en général à l'occasion de restaurations. On a déjà signalé les remises au jour des tympans de Mâcon et d'Autun. En 1887, l'abbé Jolivet eut la perspicacité d'identifier et de commencer à dégager les fresques, aujourd'hui mondialement célèbres, du doyenné clunisien de Berzé-la-Ville. En 1948, le Chanoine Grivot identifia la tête du Christ du tympan d'Autun dans les réserves du Musée Rolin. En 1971 furent remises à la lumière les grandes peintures de Gourdon. En 1986 ce fut la minuscule église de Burnand qui livra un ensemble de peintures extraordinaire, qui atteste une nouvelle fois que même les églises rurales les plus modestes étaient, au moins dans le choeur et l'abside, entièrement peintes. En 2001 réapparurent les splendides mosaïques du déambulatoire de Tournus, enterrées depuis le début du XVIIIe siècle. D'autres édifices livrèrent des peintures en moins bon état, et en cours de restauration, comme La Chapelle-sous-Brancion ou Buffières. Depuis plus d'une vingtaine d'années, les restaurations ont pris un cours nouveau, qui s'écarte des errements de la période antérieure.
 
L'attention à tous les éléments encore en place, et la réflexion historique reprennent (trop) lentement le dessus. De très bons architectes, comme Pierre Raynaud (Tournus) ou Henri Gignoux (Mâcon), ont réalisé des restaurations de grande qualité, comme à Passy, à Saint-Romain-sous-Gourdon, à Marly-sur-Arroux, à Chânes. Surtout, la Saône-et-Loire a eu la chance exceptionnelle de voir arriver un nouvel Architecte en Chef des Monuments Historiques, Frédéric Didier, plus attentif à l'histoire qu'aucun de ses prédécesseurs, ouvert, intelligent et d'un dynamisme étonnant, grâce auquel il parvient à vaincre l'inertie pesante des populations locales et de leurs élus, attachés souvent avec âpreté à un état des lieux « traditionnel », en général médiocre, sale, répulsif et guère plus ancien que l'entre-deux-guerres. Grâce à lui, la Sâone-et-Loire est en passe de retrouver un visage roman un peu moins éloigné de l'original. La restauration intérieure de Paray, vilipendée par les passéistes de tout poil, constitue une réussite impressionnante, un véritable modèle.
== Problèmes actuels ==
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