*Un renouveau de la recherche scientifique
Le point cependant sur lequel il convient d'insister le plus est la nécessité de renoncer une fois pour toutes aux sacro-saintes « monographies d'édifice », genre encore bien trop prisé, quoique définitivement stérile ; j'en parle d'autant plus volontiers que j'ai moi-même cultivé le genre... Il est indiscutable que les « notices » auxquelles il est fait référence dans le tableau donné en premier lieu sont à la limite du dérisoire ; mais le système de la monographie conduit nécessairement à concentrer la totalité de l'attention sur les édifices d'une certaine taille et « bien conservés », ce qui a pour premier effet de maintenir dans une ombre épaisse plus de 80% des matériaux disponibles, qui appartiennent plutôt à des édifices « romans en partie », et sans qualité particulière. Il tombe sous le sens que la majorité des difficultés encore à résoudre ne le seront que par une approche globale, mettant en relations de larges cohortes d'édifices entre lesquels on pourra reconnaître des gradations, hiérarchies, oppositions, etc., c'est-à-dire des éléments de structure concrète que l'on pourra alors tenter de mettre en relation avec des évolutions générales, de la société et de l'architecture. Ce qui suppose donc des enquêtes portant sur une zone vaste, avec une analyse méthodique de tous les bâtiments repérés, relativement à un caractère précis, comme les appareils, les enduits, la structure des clochers, les fenêtres, les dimensions (métrologie), etc.
Comme on l'a dit, le système de datation « communément admis » (en 2009) ne renvoie pas aux observations empiriques, mais à l'évolution d'une tradition universitaire où la forte et saine critique scientifique (quoique pas totalement absente) cède trop souvent le pas à des compromis dictés par de tout autres principes. Il faut réfléchir sur les méthodes, comme Jean Wirth nous y a invités récemment. Des dates fausses, ou pas de dates du tout, c'est à peu près la même chose : avec des objets non datés, AUCUNE analyse historique n'est possible. Grosso modo, je vois trois directions :
1/ '''1/ Les méthodes dites « archéométriques »'''
Dans ce domaine règne un grand flottement ; il n'existe à ma connaissance que deux méthodes à peu près fiables, quoique modérément précises, le dosage du 14C (matière contenant du carbone, essentiellement morceaux de bois) et le dosage de la thermoluminescence (terres cuites, briques et tuiles notamment). Je n'ai pas connaissance de leur utilisation sur des matériaux liés aux édifices dont je parle. En revanche, la dendrochronologie a été pratiquée, mais la plupart de mes collègues ignorent malheureusement les conditions drastiques (presque jamais réunies) dans lesquelles une datation de ce genre a des chances d'être menée à bien ; la plupart du temps, on ne dispose que d'un fragment de poutre, qui ne fournit que des données très limitées, à partir desquelles toute datation proposée ne revêt qu'une probabilité excessivement faible (souvent inférieure à 0.1, ce qui veut dire qu'on n'en sait rien...). En d'autres termes : dire « j'ai une datation dendro », comme on l'entend parfois, c'est seulement indiquer que l'on ne sait pas comment fonctionne cette technique...
2/'''2/Les méthodes numériques-informatiques de « sériation »'''
La mise en ordre de grands tableaux descriptifs à double entrée (objets/caractères) est parfaitement au point depuis les années 70 (publications de François Djindjian notamment). Depuis lors, les matériels et les logiciels ont fait des progrès gigantesques, on trouve facilement des logiciels libres commodes et très efficaces ; autrement dit : on ne peut plus justifier d'aucune manière le refus de ces procédures, dont la puissance a été démontrée sur de nombreux exemples. La seule difficulté réelle consiste à élaborer des grilles descriptives appropriées, qui permettent d'enregistrer tous les éléments significatifs, et autorisent ensuite le calcul des rapprochements et des écarts. Pour les éléments architecturaux, la chose semble assez simple à concevoir, mais pour les décors, les chapiteaux romans au premier chef, on n'a encore rien trouvé. De toute manière, c'est la voie prioritaire de développement pour toute analyse formelle.
On ne saurait trop insister ici : une description de type sériel, au travers d'une caractérisation de chaque élément à partir de modalités clairement définies est la clé de tout renouveau et de tout progrès ; on peut, toutes précautions prises, parler d'un impératif de formalisation ; c'est la seule manière possible de s'extraire des descriptions littéraires insipides et vagues, encombrées d'adjectifs ampoulés, dans lesquelles finit de s'étouffer l'histoire de ces édifices.
3/ '''3/ La mise en relation méthodique avec les textes.'''
On dispose d'au moins 10000 chartes pour la zone considérée, dont une bonne partie est déjà numérisée et librement accessible (site des CBMA). Des milliers de références concernent directement les églises et les chapelles. On dispose par ailleurs de vies de saints, de chroniques, de coutumiers monastiques, d'obituaires, de manuscrits liturgiques. Ici encore, on ne peut que regretter une tradition universitaire aussi désuète que paralysante qui conduit à réserver chaque type de documents à des « spécialistes » particuliers, dont bien entendu la première préoccupation est de verrouiller leur terrain. Notons d'ailleurs au passage que les documents des XVIIe, XVIIIe et XIXe qui concernent ces édifices, dans les archives ecclésiastiques, puis communales et départementales, sont eux aussi sériels, et que jusqu'ici on ne les a examinés qu'à doses homéopathiques, au coup par coup ; il serait pourtant très important de se faire une idée globale précise de la situation au XVIIe ou à la veille de la Révolution, et il y a matière pour cela : e.g. la série des actes de vente des biens nationaux est complète, bien classée, bien indexée.